Chemin faisant
LES DESSINS
J’ai commencé à dessiner quand je suis née ; quand on peut tenir un stylo. Je ne me rappelle pas de moi ne dessinant pas.
J’ai dessiné parce que je pensais que la parole, surtout orale, était traitresse dans la mesure où elle ne permettait pas d’exprimer ce que je voulais dire. Qu’avec la parole, on était « à côté de la plaque » et que finalement, un bon dessin valait mieux que mille paroles.
Petite, mes dessins étaient au feutre, avec des couleurs vives : jaune, rouge, bleu, des couleurs primaires, et noir. Je représentais plutôt la réalité, du moins la mienne : il y avait des formes, des poings, des dents, des choses agressives ou colériques.
Plus tard, il y a eu une période où j’ai essayé la peinture, puis la craie sèche, mais c’était trop sec pour moi, et peut-être trop flou. Après il y a eu les pastels gras, c’était déjà mieux : les couleurs étaient plus vives et j’avais plus de possibilité « d’étalage ». J’ai quand même arrêté : ça restait malgré tout trop sec. J’ai utilisé, à une autre époque encore, de l’acrylique sur des grands formats, avec des collages. Puis il y a eu l’aquarelle. J’ai passé au moins dix ans avec l’aquarelle, j’avais 25-30 ans. Mais, vers 2015, j’ai trouvé que l’aquarelle n’était pas assez forte, ou trop transparente pour moi, puisqu’il y a peu d’aquarelles opaques. Et je suis passée à l’encre, avec peu de couleurs, et en mélangeant encore, pendant tout un temps de transition, avec de l’aquarelle.
A l’adolescence, je suis partie à Rome, au musée du Vatican, et surtout à Florence où je suis allée avec une photographe qui m’a beaucoup appris à regarder. Tout le Quattrocento m’a beaucoup influencé. Sur deux aspects : les couleurs, l’or, un certain bleu (Cosmos), un certain vert, un certain rouge ; et ce qu’on pourrait appeler « la miniature », un souci du détail, du trait hyper précis. Et peut-être le fait qu’il peut y avoir, avec la perspective, plusieurs plans sur un même tableau, qui est justement ce que je n’utilise pas, puisque je ne fais qu’un plan. Il n’y a pas de perspective dans mes dessins, tout est immédiat, au-devant de.
Un jour j’ai rencontré Henri Michaux. Jusque-là je n’avais jamais dessiné d’après un texte ou une histoire… et adulte j’ai commencé à dessiner sur ses poèmes.
Ce ne sont sans doutes des inspirations plus que des illustrations et c’est aussi à cette époque que j’ai commencé ce que j’appelle les séries.
En 2013 un événement de ma vie a abouti à une expo, avec une série principale « Le gigantesque voyage » et des hors série.
Les artistes qui m’ont influencé : les premiers que j’ai rencontrés et aimés, c’est d’abord Giacometti et il y a toute une période où je ne dessinais qu’un certain type de personnages qui étaient totalement filiformes, sans chair, sans rien, et ceux-là ont duré longtemps.
Après il y a eu Francis Bacon… Il m’a impressionné, peut-être dans sa façon de montrer à voir la folie, la douleur, la souffrance…
Puis il y a eu Moebius, mon dessinateur préféré entre tous. J’aime son traitement des couleurs hyper fortes, affranchies de la réalité telle qu’on la voit et le fait que, dans l’Incal, le personnage principal n’est presque jamais pied à terre, mais toujours en vol, en survol, en chute, en montée, mais très rarement en train de marcher.
J’ai très vite lâché la représentation de la réalité telle qu’elle nous apparait communément, mais il y a quelque chose du monde : ils ne sont pas « déconnectés ». Concernant les formes, les « personnages » qui sont représentés, ils ont de l’humanité, mais ce ne sont pas des humains parce qu’ils ne sont pas ancrés sur la Terre, en tous cas pas manifestement dans les dessins. Ils ont une autre vie, plus symbolique.
En 98 il y a eu une expo, il n’y avait presque que des anges ; dans les années 2000, je suis passée aux pieuvres, aux longues tentacules aqueuses… On était bien loin des presqu'humains d'aujourd'hui!
Les presqu'humains sont arrivés progressivement : au début c'était quelques personnages qui commençaient peut-être à pouvoir marcher, et depuis 2020 il y a des personnages qui sont corporellement assez humains, même s’ils ne le sont pas complètement parce qu’ils ont des attributs qui ne sont pas humains, mais on voit qu’il y a une appartenance… au corps humain.
Dans mes derniers dessins, on ne sait pas vraiment si les protagonistes sont dans l’air ou dans l’eau, ils marchent peu : ils nagent ou ils volent. Certains grimpent maintenant.
La période d’aujourd’hui n’est plus que d’encre, avec parfois de l’encre acrylique… avec à peu près toutes les couleurs possibles, et les mélanges de couleurs. Elle est liée je crois à une réaction au confinement. Il y a des couleurs que j’utilisais très peu avant, qui arrivent massivement, comme les jaunes, avec un peu de bleu d’Orient qui avait commencé un peu avant et qui est directement lié au Quattrocento. Il y a eu aussi du vert ! Les couleurs sont différentes, les formes aussi.
Les dessins naissent des fois de rêves, mais plutôt des rêves du matin qui sont des espèces de demi-sommeil. Il y a une image ou une structure qui apparait, ça peut être un personnage, mais plus souvent une structure générale. Une fois cette forme dans la tête, je commence à la dessiner au crayon, puis je repasse à l’encre, puis je mets la couleur. Souvent, de fil en aiguille, à partir du premier, viennent d’autres dessins.
Au moment de la conception, à part quand clairement je veux raconter une histoire, je ne pense pas le dessin : je pense aux traits, aux couleurs, aux formes, mais pas au sens. Je vois souvent le sens après : je le refabrique, parfois un peu pendant, mais plus souvent après.
Depuis 2021, la prochaine exposition est en cours de préparation. En 2020, j’avais un projet très précis dans la tête : je voulais « parler » de toutes nos strates -nos couches qui s’empilent au fur et à mesure que notre vie avance. Ca fait des croutes. Ca s’appelait « Sédiments »… Mais j’avais trouvé le titre avant de faire un quelconque dessin... et il y a eu les COVID et les confinements!
Finalement, les dessins qui sont sortis n’ont rien à voir avec le projet de départ, ils n’ont pas de croute, pas de peaux multiples : ils ne sont pas épais. Ils auraient plutôt comme une espèce de couche diaphane, jaune. C'est d'abord la couleur qui relie ces êtres en métamorphose. Des êtres hybrides, en transformation d’un dessin à l’autre pour certains, à l’opposé de l’enfermement, de ce que nous avons tous vécu. Parce que ces nouveaux êtres ne sont pas sur terre, n’ont pas de limite spatiale -à part le papier, et encore !-
L'ILLUSTRATION
Qu’un dessin puisse raconter une histoire, avec un début, un milieu, une fin, ça je l’ai découvert dans les années 2010, mais penser que mes dessins pourraient « illustrer » une histoire déjà écrite est assez nouveau. En 2019, pour la sortie de Chut...e! un spectacle de Clara Guenoun, j’ai réalisé un visuel et cette "commande" m’a plu. Nous avons donc continué ce chemin et j'ai crée les visuels des affiches de Requin-Chagrin en 2020 : un dessin central pour l'affiche et une série graphique pour les ateliers.
En 2021-2022, nous montons d'un cran! A partir d'un texte que j'ai écrit, La recrachée, un spectacle vivant, Orca, a été produit par la Cie Des Gens qui Content, avec une série de dessins liés à l'histoire qui font partie de la scénographie. Le spectacle est sortie le 12 octobre 2023 au Théâtre de la Girandole.
Depuis 10 ans aussi, je rencontre plein de conteurs, j’écoute plein d’histoires et certaines m’inspirent spontanément. Je me dis : tiens, sur celle-là, il pourrait y avoir tel ou tel dessin. En 2020, à Nantes je suis allée à un festival de conte et une histoire m’a frappée : j’ai commencé à faire des petits croquis, très schématiques, sur la représentation spatiale du conte : personnages, symboles, couleurs même. C’est comme des notes dessinées qui me font traces ou mémoire de l’histoire entendue.
C'est donc progressivement que j'ai envisagé de pouvoir répondre à une commande. Ca reste complexe puisque le dessin a toujours été pour moi synonyme de liberté, de non limite. Mais au fur et à mesure du temps on m'a envoyé des textes, un, puis deux… en me disant : vois ce que ça te fait, si ça t’inspire quelque chose… Au début, pas du tout, et puis j’en ai fait un premier, assez loin du texte, puis deux, puis trois et finalement les dessins eux-mêmes m’ont plu. Et pour celui.celle qui écrit il semble que l'image ouvre d’autres possibles : des modes, des tons qui mettent en lumière un détail symbolique ou renforcent le propos principal en venant le heurter, le frôler… Aujourd'hui, je dessine pour des visuels d'affiche de spectacle, et j'ai illustré Le Pelleteur de nuages, un livre de Pépito Matéo sorti en novembre 2023.
LA CUSTOMIZATION
Par hasard un soir où je sortais je voulais mettre mes chaussures préférées mais tellement usées que qu'on ne voyait plus la couleur! Alors de la couleur j'ai commencé à en mettre : je les ai recolorisées. Et tiens! j'avais aussi un sac à main un peu vieux : alors j'ai dessiné sur lui.
Petit à petit, on m'a demandé de faire revivre des chaussures, des blousons, des meubles : tout un d'objet aimés qui demandaient une 2ème vie!
Pour toute demande, me contactez.